GROUPES DE NIVEAU ! Même avec des moyens nous n’en voudrions pas !

GROUPES DE NIVEAU ! Même avec des moyens nous n’en voudrions pas !

Les groupes de niveau que souhaite imposer le gouvernement sont rejetés par une très large partie de la communauté éducative. Leur mise en place, sans moyens supplémentaires, va désorganiser profondément les collèges en dépouillant l'ensemble des dispositifs pensés par les équipes. Mais notre franche opposition à ces groupes de niveau est également pédagogique : même avec tous les moyens nécessaires, nous n'en voudrions pas.

Un dispositif contre-productif

Il n’y a aucune justification pédagogique aux groupes de niveau, c’est le contraire. Comme le montre la méta-étude publiée en 2004 dans Les Cahiers pédagogiques par Vincent Dupriez et Hugues Draelants, l’effet des groupes de niveau en termes d’apprentissage est nul. Plus précisément, s’il peut être positif
pour les groupes de « bon niveau », il est toujours négatif pour les groupes dits en difficulté. Faire des groupes de niveau, c’est enfermer dès la sixième des élèves dans une dynamique d’échec, pas les aider à progresser : c’est un véritable « choc des savoirs », en effet.

La stigmatisation qui découle du fait d'être affecté dans le groupe « faible » a un effet délétère sur le moral et la motivation de ces élèves. Par ailleurs, on constate que les enseignant·e·s de ces groupes ont tendance à abaisser leurs exigences, en entraînant davantage les élèves à des tâches répétitives et peu complexes. L’étiquette de « mauvais élève » est une prophétie auto-réalisatrice ; avec les groupes de niveau cette étiquette sera visible et quasi-officielle.

Certes, des études montrent également qu’il peut être parfois utile d’organiser des groupes
homogènes, pour l’acquisition d’une compétence spécifique, à condition que ce soit d’une manière
très ponctuelle, sans lien avec un niveau global, ce qui exclut tout à fait d’utiliser les examens
nationaux. Ces groupes peuvent d’ailleurs être constitués à l’intérieur d’une classe, sans qu’il y ait
besoin de regrouper plusieurs classes.

Introduire les groupes de niveau au collège c’est donc très concrètement diminuer les chances de progression pour les élèves les plus en difficulté, renforcer la reproduction sociale, et instaurer un tri social au sein des collèges.

L’explosion du groupe-classe

La classe est actuellement l'unité de travail dans nos collèges. Elle contribue à fournir un cadre rassurant aux élèves. Elle permet aux équipes et aux élèves de réfléchir aux dynamiques d'apprentissages qui s'y jouent. Elle donne des repères aux élèves, dans des collèges souvent trop grands. Les groupes de niveaux remettent en question le fondement des groupes-classes puisque dans un tiers à la moitié des cours, ceux-ci n’existeront plus. Cela aura les conséquences négatives que l’on constate déjà au lycée : disparition de l’équipe pédagogique de la classe, pénurie de professeur·es principales·aux. Par ailleurs, si les groupes de niveau évoluent dans l'année, ce sera au détriment du lien pédagogique entre professeur·es et élèves.

 

L’hétérogénéité est une force

L'hétérogénéité dans nos classes est un défi pédagogique au quotidien tant, c'est vrai, il est difficile, avec des classes surchargées, d'organiser le travail d'élèves ayant des niveaux très différents.

Pourtant, l'école que nous défendons est celle qui permet de réduire le nombre d'élèves par classes, pas l'hétérogénéité de celles-ci. Les pédagogies émancipatrices que nous portons s'appuient sur les différents vécus, les différents savoirs et savoir-faire des élèves pour construire des savoirs collectifs. L'élève n'apprend pas tou·te seul·e dans un face-à-face avec l'enseignant·e. Iel apprend dans un groupe, avec le groupe. L'hétérogénéité de la classe est une richesse pour les apprentissages.

La pensée selon laquelle mettre les élèves rencontrant les plus grandes difficultés dans des plus petits groupes de niveau faible mais homogène leur permettrait de progresser plus rapidement est fausse.

Elle repose sur l'idée que l'on pourrait passer davantage de temps auprès de chacun, à reprendre les bases. Or, même avec 15 élèves dans ces groupes, l'enseignant·e n'aurait pas plus de 3/4 minutes par heure à consacrer à chacun·e.

À l'inverse, en s'appuyant sur l'hétérogénéité d'une classe, on peut organiser les apprentissages de telle sorte à ce que les élèves coopèrent, que l'élève qui a compris telle ou telle notion puisse aider sa/son camarade en difficulté.

Trier les élèves, c’est à l’inverse, faire le pari de la compétition plutôt que de la coopération !

Progression commune ?

Si l'on en croit le discours de la DSDEN 93 : un·e élève ne doit pas passer toute son année dans le même groupe. L'intention est louable et cela reconnait en creux ce que nous dénonçons : l'effet délétère pour la confiance en soi qu'auraient ces groupes de niveaux. Cependant, concrètement, si l'on veut permettre une telle fluidité dans le passage d'un groupe à un autre tout au long de l'année, cela implique une chose : les enseignant·e·s des 3 ou 4 groupes alignés doivent avoir une progression commune.

Imposer à 3 ou 4 enseignant·e·s une progression commune est une grave atteinte à la liberté pédagogique des enseignant·e·s. Mais au-delà de l'atteinte aux conditions de travail, cela réduit grandement la possibilité de mettre en place des pédagogies alternatives : si ce sont les enseignant·e·s qui décident en amont des thèmes à étudier et du calendrier, cela ne laisse que peu de place pour rebondir sur les propositions qui peuvent émerger dans la classe.

Les groupes de niveaux sont massivement rejetés par toute la profession. Ils entrainent des complications organisationnelles qui vont dégrader nos emplois du temps et ceux des élèves et réduire grandement notre liberté pédagogique. Ils sont mis en place avec des moyens presque constants, ce qui annonce une dégradation des conditions de travail et d'étude généralisée et oblige les collègues à renoncer à de nombreux dispositifs construits localement. Ils sont aussi une aberration pédagogique et vont à l'encontre de toute vision émancipatrice de l'école. Ils stigmatisent une partie des élèves et ajoutent un niveau supplémentaire de ségrégation à l'intérieur de l'école publique, en enfermant les élèves dits en difficultés dans des groupes d'apprentissages dont iels n'auront pas réellement la possibilité de sortir.