La lutte contre le racisme s’articule avec la lutte contre le fascisme. Le racisme peut être compris comme un système social et économique de domination d’un groupe majoritaire sur un groupe minoritaire ayant pour effet la production de groupes « racisés ». Il n’est pas l’apanage des milieux fascistes, même si les milieux fascistes sont des propagateurs d’une idéologie qui légitime le système raciste. Le fascisme quant à lui est une idéologie mettant en avant la grandeur et la primauté d’une communauté par rapport aux autres. Son objectif est de sauver cette communauté, supposée victime de la décadence de la société. Il poursuit cette objectif selon deux modalités : par la mise en place d’un système d’autorité et d’encadrement soudée derrière l’autorité d’un chef et par le renforcement de l’unité et de la pureté de ladite communauté. Ces deux systèmes sont imbriqués et sont donc intimement liés. Le texte et les revendications qui suivent s’articulent donc avec le texte intitulé « Contre le racisme d’Etat, une école pour toutes et tous ».
La gangrène se répand
Des « manifs pour tous » aux résultats des dernières élections, les réactionnaires et les extrémistes de droite de toutes sortes gagnent du terrain. L’École, partie intégrante de la société, n’est pas épargnée. En témoignent la montée récente des syndicats de droite aux élections professionnelles, la création du collectif Racine (« les enseignants patriotes », collectif d’enseignant-e-s affilié-e-s au FN, qui veut lutter pour le « redressement de l’école » en prônant une école élitiste du tri social), ou encore les JRE (Journées de Retrait de l’École ; groupe de parents d’élèves dans le sillage de la Manif pour tous recyclée dans la lutte « anti-gender », qui s’est emparé de la lutte contre les ABCD de l’égalité et entend à présent faire pression sur l’ensemble des contenus d’enseignement) contre une prétendue « théorie du genre », qui se sont propagées rapidement et ont parfois surpris par leur ampleur des collègues démuni-e-s. Et les attaques réactionnaires contre l’École ne font que commencer. Forts de leur réussite, les activistes des JRE ont fondé la FAPEC (Fédération Autonome de Parents Engagés et Courageux, qui revendique le retour au ministère de l’instruction publique), parmi ses objectifs : former les parents d’élèves de l’école primaire au lycée, avec un « pôle formation » pour enseigner la méthode syllabique et dispenser des stages de grammaire, d’orthographe, de calculs et d’histoire ; formations en histoire aux lycéens (France des Rois avec des personnages décisifs comme Clovis, Saint Louis ou Jeanne d’Arc), aider les adolescents à se défendre de cette période qui les entraîne vers un abîme intellectuel et un abîme concernant leur identité sexuelle, lutter contre le nouvel ordre mondial, contre la « théorie du genre », donner une alternative à l’Ecole de la République qui, après avoir séparé les enfants de dieu, veut les séparer de leur famille. La finalité de la FAPEC n’est pas tant d’agir pour transformer l’école que d’en extraire les enfants et de s’y substituer. C’est pourquoi elle encourage de plus en plus de parents à choisir soit l’instruction à domicile soit les écoles hors contrat, restaurer la France chrétienne dont nous avons besoin… Car au delà de l’école, il s’agit d’imposer un véritable projet global de société profondément inégalitaire basée notamment sur la complémentarité des sexes et l’inégalité fondamentale dans le domaine privé pour un retour à un ordre social pré-établi.
Ces idées véhiculées par des partis et des réseaux de plus en plus organisés et séducteurs s’invitent dans de nombreux foyers. Internet (les sites web, les blogs, les réseaux sociaux, …) est devenu un vecteur puissant de leur propagation et les médias de masse, à la recherche de sensationnel, ouvrent grand leur porte au Front National et consorts. L’avancée des idées d’extrême droite, racistes, néo-nazies, des fondamentalistes religieux de toutes obédiences n’est pas un accident marginal ni un « défaut » de la république, mais un fruit de la crise sociale. La politique actuelle leur ouvre un boulevard. Les travailleurs/euses qui se sentent trahi-e-s par un gouvernement « de gauche » qui diminue les droits sociaux, fait des cadeaux au patronat, mate les mouvements sociaux, expulse les camps de Roms... faute d’autre alternative, peuvent tomber dans les pièges d’un discours faussement social ou extrémiste religieux.
L’École de la république, au service du capitalisme, est le terreau des violences sociales.
Face à ces menaces, la résistance doit s’organiser à l’École comme dans la société toute entière. Pour SUD éducation, il est illusoire de croire que l’École de la République constitue un rempart contre ces idées nauséabondes. Au contraire, depuis sa création, les valeurs qu’elle promeut constitue le terreau de tous les sectarismes et de la violence sociale. La méritocratie et l’élitisme républicain conduisent les jeunes à penser qu’il y a dans la société les méritant-es et les autres, et justifient l’exclusion de celles et ceux qui échouent à l’école, ainsi que la constitution d’une élite dont la société aurait besoin. Ces concepts sont à la base d’un système éducatif très inégalitaire. Contrairement aux idées reçues, l’ « École de la IIIème république [1] », édifiée après l’écrasement de la Commune de Paris en 1871, n’a pas été mise en place pour le bien des classes ouvrière et paysanne, mais, d’une part, pour affaiblir le poids très important des congrégations religieuses dans l’instruction et dans les mentalités1 (voir note de bas de page), d’autre part pour servir les besoins du capitalisme montant de la fin du XIXe siècle : former des ouvrières et des ouvriers sachant lire, écrire et compter. Ces apprentissages fondamentaux, s ’ils favorisaient de manière décisive l’accès à la lecture et aux savoirs d’un plus grand nombre, s’inscrivaient d’emblée dans le cadre d’un formatage disciplinaire et idéologique visant la soumission aux classes dominantes et à leur État, l’hégémonie de la langue française, les concepts de patrie et de colonialisme et la formation de soldats prêts à mourir pour récupérer l’Alsace et la Lorraine et faire régner l’ordre dans les colonies. De même, les orientations apparemment plus humanistes d’après-guerre, sous couvert de donner une place plus importante aux valeurs d’épanouissement et de « citoyenneté », ont amené la mixité garçons-filles dans les écoles et l’allongement du parcours scolaire du plus grand nombre, tout en tentant, en faisant le grand écart avec les discours tout frais sur l’anti-fascisme et la libération nationale, de continuer " l’oeuvre civilisatrice" dans les territoires colonisés. Les exigences capitalistes de compétitivité, de concurrence ou encore d’employabilité ont de tout temps pris le pas sur les valeurs éducatives et émancipatrices. L’École devient alors un lieu de sélection et de formation de futur-es salarié-es, les moins performant-es ou les plus récalcitrant-es n’ayant pour horizon que chômage et précarité.
Nos propositions
SUD éducation sait que les problèmes de l’École de ceux de la société, c’est pourquoi nous défendons le projet d’ « d’une autre école, d’une autre société ». Les valeurs éducatives de cette École sont la solidarité, l’émancipation, l’épanouissement et la coopération. Les moyens pour les concrétiser sont un même enseignement polytechnique pour tous [2] de la maternelle au lycée. Mais ce projet n’a de sens que dans le cadre d’une transformation de la société, imprégnée elle aussi de ces valeurs.
Sud Éducation considère que le personnel d’éducation doit tout faire pour armer de savoir la jeunesse, ouvrir les esprits contre cette société en décomposition avancée, déconstruire le discours de ceux qui la dominent encore et de ceux qui voudraient la dominer. Le personnel d’éducation ne peut rester neutre face au fascisme montant, face aux tentatives pour asservir les parents et la jeunesse des quartiers populaires avant tout autres car ce sont elles et eux les plus discriminés, les plus rejetés, elles et eux pour qui l’École de la république n’est qu’un lieu de sélection, d’élimination, de racisme qui les amène parfois à commettre des actes fortement symboliques, comme la destruction par l’incendie des écoles, gymnases, bibliothèques... Une telle neutralité apolitique transformerait en un couteau sans manche, tous les efforts d’enseignement et d’éducation libérateurs. Face aux agressions contre le savoir et les élèves, qu’elles viennent du pouvoir, des fondamentalistes religieux ou de l’extrême ou ultra-droite, notre syndicat ne se replie pas sur l’école de Jules Ferry, il refuse d’asservir l’éducation aux besoins du capitalisme ou des idéologies à la volonté hégémonique. Nous savons que les meilleures des pédagogies ou les adultes les plus motivé-e-s ne suffiront pas pour convaincre nos élèves les plus en difficulté, celles et ceux qui en ont le plus besoin, de l’utilité du savoir.
C’est pourquoi SUD éducation dénonce l’imposture sociale des divers mouvements d’extrême droite et/ou réactionnaires qui ne s’attaque pas aux véritables causes de la fracture sociale que sont la compétition permanente et la concurrence entre les diverses catégories de travailleuses et de travailleurs, les aggrave en y superposant différenciation et antagoniste entre nationalités, genres, spiritualités et religions, couleurs de peau, identités et/ou orientations sexuelles mais que nous dénonçons aussi les « républicains » des gouvernements successifs qui prétendent représenter le peuple et la démocratie en répétant qu’il n’y a pas d’alternative (« TINA » [3]) à la politique libérale et en bafouant les votes quand le résultat leur déplait [4] ou en les empêchant (loi Macron, février 2015). Ce mépris de la classe dominante, que constitue les capitalistes et les gouvernements qui les servent, nourrit le ressentiment et la colère qui, mal analysés peuvent être utilisés par les courants sectaires et fascisants. C’est pourquoi nous affirmons qu’on ne peut défendre l’École (et la société toute entière) contre le fascisme sans combattre le capitalisme.
SUD éducation s’engage donc à :
• continuer la lutte pour obtenir la titularisation de tous les travailleurs et toutes les travailleuses de l’Education, sans conditions, notamment de concours, de diplôme ou de nationalité ;
• participer à construire un front syndical antifasciste dans l’Education Nationale, par exemple VISA, afin de refuser largement que l’extrême droite ne s’implante dans notre secteur ;
• revendiquer la mixité des personnels enseignant-e-s et non-enseignant-e-s de la maternelle à l’université ;
• continuer à défendre les élèves sans-papiers ;
• soutenir les luttes sociales contre l’offensive capitaliste qui conduit notamment à la dégradation de notre protection sociale et de l’ensemble des services publics ;
• développer à la base des réflexions et initiatives sortant de la logique capitaliste afin de permettre au plus grand nombre de se dégager des pièges que nous tendent les multiples formes des fascismes ;
• contribuer à la solidarité internationale avec les peuples opprimés
Depuis sa fondation, SUD éducation s’inscrit dans la lutte contre le racisme, le fascisme, le sexisme, l’homophobie et les réactions de tous genres. Cette lutte n’est donc pas nouvelle pour nous, mais dans le contexte actuel, elle doit être réaffirmée comme prioritaire, se donner des armes adaptées et se renforcer au plus vite.
[1] rappelons que l’église catholique, voulant conserver, dans une période de déchristianisation, son emprise sur les esprits, bataillait très fermement pour le repos du dimanche ( jour du Seigneur) et pour les congés payés, afin que les masses provinciales immigrées dans la région parisienne, plutôt que de vivre en concubinage, puissent aller se marier "au pays", les habitudes de l’époque étant qu’on se mariait une fois qu’on avait présenté sa ou son futur-e à ses parents.
[2] Voir les textes de congrès définissant plus précisément le projet d’Ecole de SUD éducation.
[3] « There Is No Alternative » doctrine thatchérienne signifiant que le capitalisme, le marché et la mondialisation sont nécessaires et bénéfiques et que toute organisation sociale qui prend une autre voie court à l’échec.
[4] En 2005, le Traité Constitutionnel Européen a été rejeté par référendum en France (ainsi qu’aux Pays Bas et en Irlande), malgré une campagne médiatique intense en sa faveur. Trois ans plus tard, le gouvernement français ratifiait le Traité de Lisbonne, quasiment identique … sans référendum.