Le 24 juillet 2019, M. Julien Aubert, M. Thibaut Bazin, M. Bernard Fournier, Mme Bérengère Poletti et M. Patrice Verchère, député.es Les Républicains, ont assigné SUD Education 93 devant le tribunal de grande instance de Bobigny. Ils et elle demandent la dissolution judiciaire du syndicat, la perte de sa capacité syndicale, et que le syndicat leur verse in solidum la somme de 5000 euros.
En cause, les termes et les pratiques mobilisés lors de deux stages de formation des personnels de l’Education nationale organisés par SUD Education 93 : « Au croisement des oppressions - Où en est-on de l’antiracisme à l’école ? » (18-19 décembre 2017) ; « Comment entrer en pédagogie antiraciste ? » (15-16 avril 2019).
En effet, le syndicat a proposé des ateliers en non-mixité raciale choisie lors de chacun de ces stages (deux ateliers lors du premier, un seul lors du second) ; lors de chacun des stages, une dizaine d’autres ateliers étaient aussi proposés, ouverts à toutes et à tous, ainsi que 3 conférences en plénière. D’autre part, les plaquettes de présentation des stages faisaient usage notamment des expressions « racisme d’Etat », « racisme structurel », « personne racisée », « blanchité ».
Les député.es accusent ainsi le syndicat d’avoir « organisé une discrimination raciale pour l’accès à sa formation, méconnu les valeurs républicaines et poursuivi un objet politique ».
Il faut d’abord rappeler que cette nouvelle attaque contre le syndicat n’est que la dernière d’une longue série depuis l’organisation du stage de 2017 :
- des dizaines d’appels téléphoniques et de messages sur les réseaux sociaux hostiles en novembre 2017 ;
- vitre du local du syndicat brisée en décembre 2017 ;
- couverture médiatique souvent diffamatoire : comme le rappellent les député.es, le magazine Marianne (20/11/2017) a par exemple écrit à propos du stage de 2017 que le stage tout entier, et non simplement deux ateliers, était organisé en non-mixité raciale ; le Canard Enchainé a accusé SUD Education 93 de faire de « l’apartheid » (29/11/2017) ;
- deux plaintes déposées successivement par le ministère de l’Education nationale, après que le ministre Jean-Michel Blanquer ait tweeté (20/11/2017), de façon là encore diffamatoire, que le premier stage était « inconstitutionnel & inacceptable » :
- une première plainte (21/11/2017) pour diffamation, suite à l’emploi dans la plaquette du premier stage de l’expression « racisme d’Etat » ; cette plainte été classée sans suite, suite à un vice de forme : elle est adressée à une personne morale (le syndicat), or les plaintes pour diffamation ne peuvent concerner que les personnes physiques. Le ministère affirme qu’il s’est trompé dans la formulation de sa plainte, nous affirmons qu’il a reculé pour éviter le ridicule ;
- une deuxième plainte, pour discrimination, suite à l’organisation d’ateliers en non-mixité raciale. Cette plainte est en cours. Les 9 et 10 avril 2018, 13 membres du syndicat ont été auditionné.es par la sûreté territoriale de Bobigny dans le cadre de cette procédure. Le ministère ne semble pas vouloir donner d’autres suites à la plainte. La procédure a déjà coûté 8000 euros de frais d’avocat à SUD Education 93 ;
- interdiction faite à 10 enseignant.es du premier degré d’assister au stage de 2019 : par un courrier envoyé le 11/04/2019, soit quatre jours avant le début du stage (bien après le délai légal de 15 jours pour ce type de notification), le directeur académique de Créteil a notifié à ces enseignant.es qu’il refusait de valider la demande d’absence pour formation syndicale que les enseignant.es avaient déposé pour assister au stage. 5 collègues ont préféré ne pas assister au stage en prenant leurs élèves normalement, 5 ont décidé d’ignorer cette notification et d’assister au stage sans se mettre en grève ; quatre recours au fond sont en cours au tribunal administratif. Les autres enseignant.es du premier degré inscrit.es au stage n’ont pas reçu de refus d’autorisation d’absence ; aucun.e enseignant.e du second degré n’a reçu de notification équivalente de la part du rectorat.
Quant aux accusations portées contre SUD Education 93, le syndicat répond.
1. Accusation de discrimination raciale
Pour SUD Education 93, cette accusation est absolument infondée.
D’abord, SUD Education rejette évidemment toute compréhension essentialiste, biologisante ou non, du terme de race. C’est précisément pour cela que le syndicat emploie le terme de « racisé.e », qui renvoie à un système social racisant.
Parler de race et de racisme n’a rien de raciste en soi. La Directive 2000/43/CE du Conseil de l’Union Européenne du 29 juin 2000 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique dispose ainsi : « L’Union européenne rejette toutes théories tendant à déterminer l’existence de races humaines distinctes. L’emploi du mot "race" dans la présente directive n’implique nullement l’acceptation de telles théories. »
Ce qui est profondément raciste, au contraire, c’est refuser de désigner explicitement les éléments constitutifs du racisme systémique propre à la société française.
Ensuite, absolument personne ne s’est vu.e exclu.e d’aucun atelier que ce soit lors des stages incriminés. Les participant.es aux deux stages ont librement assisté à tous les ateliers de leur choix.
Enfin, il est absurde de qualifier les ateliers incriminés de « discriminatoires ». SUD Education 93 rappelle que ces ateliers ont été organisés en non-mixité choisie. Contrairement à la non-mixité subie, la non-mixité choisie est basée sur le volontariat, et elle est limitée dans l’espace et dans le temps. Il n’y aucune mesure possible entre ces deux formes de non-mixité, et parler de « discrimination » dans les deux cas est un abus de langage.
Autrement dit, le racisme anti-blanc dont les député.es accusent le syndicat est un non-sens, ce que confirme notamment Eric Fassin, professeur de sociologie à l’Université de Paris VIII (France Culture, 10/10/2018) : « Le racisme anti-Blancs n’existe pas pour les sciences sociales, ça n’a pas de sens. (…) Les sciences sociales de ce point de vue sont très attentives à dire : si on commence à reprendre à son compte le discours de l’extrême-droite qui nous dit qu’au fond tous les racismes se valent, on est en train de nier la réalité de l’expérience d’une partie importante de nos concitoyens et concitoyennes. »
2. Accusation de contrevenir aux « valeurs républicaines »
Les député.es affirment que l’organisation d’ateliers en non-mixité choisie est contraires aux « valeurs républicaines ». Pourtant, la République française reconnait elle-même la légitimité d’organiser des activités en non-mixité choisie. Ainsi, la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations permet « l’organisation d’enseignements par regroupement des élèves en fonction de leur sexe ». Cette loi a été adoptée pour que la République française se mette en conformité avec le droit de l’Union Européenne en matière de discrimination. La Directive 2000/43/CE du Conseil du 29 juin 2000 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique dispose ainsi : « L’interdiction de la discrimination doit se faire sans préjudice du maintien ou de l’adoption de mesures destinées à prévenir ou à compenser des désavantages chez un groupe de personnes d’une race ou d’une origine ethnique donnée, et ces mesures peuvent autoriser l’existence d’organisations de personnes d’une race ou d’une origine ethnique donnée lorsque leur objet principal est la promotion des besoins spécifiques de ces personnes. »
L’organisation d’ateliers en non-mixité choisie, destinés à « la promotion des besoins spécifiques » des personnes participants à ces ateliers, est donc parfaitement en conformité avec le droit et les valeurs portées par la République française et par l’Union Européenne.
Par ailleurs, la non-mixité choisie est une pratique qui existe depuis longtemps dans les luttes sociales. Le MLF (Mouvement de Libération des Femmes) était ainsi célèbrement non-mixte : fallait-il l’interdire pour non-respect des « valeurs républicaines » ?
3. Accusation de poursuivre un objet politique
Les statuts de SUD Education 93 mentionnent bien que le syndicat a pour vocation « d’œuvrer à la transformation de l’école et de la société ». SUD Education 93 revendique fièrement d’être un syndicat de transformation sociale. Les discriminations racistes que peuvent subir les employé.es de l’Education nationale affectent autant leurs conditions de travail que leurs carrières. La lutte contre ces discriminations relève ainsi pleinement du champ syndical.
Les député.es mettent en cause les intervenant.es invité.es par SUD Education 93, qui seraient membres de « collectifs politiques, voire de parties (sic) politiques présents dans des élections à caractère local, régional ou national ». Ces accusations sont absolument gratuites. Les député.es citent le « Parti des Indigènes de la République » comme exemple de « parti politique » auquel appartiendraient les intervenant.es, apparemment sans réaliser que ce « parti » n’est pas du tout un parti politique classique qui participerait à la vie électorale française.
La chercheuse Nacira Guénif-Souilamas, qui avait fait une intervention en plénière lors du stage de 2017, est particulièrement distinguée comme suspecte par les député.es. SUD Education 93 rappelle que Nacira Guénif-Souilamas est sociologue, professeur des universités à l’université Paris-VIII, co-directrice du laboratoire EXPERICE (Centre de recherche interuniversitaire, expérience, ressources culturelles, éducation), Paris VIII-Paris XIII ; Vice-présidente de l’ICI, Institut des Cultures d’Islam (établissement culturel de la Ville de Paris à Barbès) ; Fellow au Columbia University Research Center on Social Difference, anciennement professeur invitée à NYU (New York University) ; membre du comité de rédaction de la revue Mouvements (La Découverte).
Deux autres universitaires reconnus ont été invités par SUD Education 93 à s’exprimer lors du stage de 2017 :
- Marwan Mohammed, sociologue, chargé de recherche au CNRS. Mène actuellement une recherche sur les carrières criminelles aux Etats-Unis au sein du Département de sociologie du John Jay College of Criminal Justice.
- Fabrice Dhume, sociologue, membre du collectif CRISIS (Coopérative de Recherches ImpliquéeS et d’Interventions Sociologiques). Précédemment enseignant-chercheur à l’Université Paris Diderot (Paris 7) et membre de l’URMIS (Unité de recherche "Migrations et sociétés", CNRS UMR 8245, IRD UMR 205, Universités Paris Diderot et Nice Sophia Antipolis).
Les député.es cherchent ainsi à faire taire la recherche universitaire, en l’assimilant à de la rhétorique politicienne, dont ils et elle sont pourtant seul.es coupables.
SUD Education 93 affirme que la plainte déposée par ces député.es est à la fois une manœuvre électoraliste et une forme de répression des luttes sociales. Le syndicat demande l’abandon immédiat des attaques judiciaires engagées contre lui.
La République est un projet à construire plutôt qu’une réalité donnée. La société française est traversée de profondes divisions, dont l’Education Nationale n’est pas exempte. Faire taire la critique sociale ne permettra pas de réduire ces divisions.
Contact :
SUD éducation 93 – 9-11 rue Génin – 93200 Saint-Denis
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